"Je veux que ça le détruise comme il nous a détruits" : au procès de viol sur mineurs aux assises de l’Ariège, des balbutiements d’aveux chez l’accusé

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    Les parties civiles ont encore témoigné aujourd’hui. DDM
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l'essentiel Acculé par les magistrats, le mis en cause dans une glaçante affaire de viols sur mineurs a esquissé les premiers traits d’une reconnaissance des faits à l’égard de plusieurs victimes, qu’il niait jusqu’à présent.

Aurait-on franchi un cap dans le procès de Fabrice, qui comparait depuis jeudi 2 mai aux assises de l’Ariège pour des accusations de viols, d’agressions sexuelles et de tentatives de viol sur quatre mineurs de moins de 15 ans ? Cela en avait tout l’air. Depuis le premier jour du procès, l’Ariégeois reconnaissait les faits sur Quentin*, le fils de ses meilleurs amis, mais niait ceux concernant Louis* et Léo*, respectivement fils d’une amie proche et ami de Quentin, et Noé*, son neveu. Cet après-midi toutefois, un vent nouveau soufflait sur la salle du tribunal de Foix, en partie à cause du changement de comportement de Fabrice.

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Dès le matin, la cour a vu apparaître un homme aux traits fatigués. Lui qui maintenait auparavant une façade composée, mâtinée d’un soupçon d’arrogance, a répondu d’entrée de jeu de manière agacée aux questions que lui posait la présidente. "Vous avez mal dormi ce week-end, monsieur ?", lui demandait alors la présidente. "Ça a été dur, oui", reconnaît le mis en cause, suscitant des réactions outrées de la part des parties civiles.

Deux témoignages accablent l’accusé

D’autant plus que sa matinée n’était pas sur le point de s’améliorer : en témoigne le regard presque glacial que lui jette Léo quand il se lève pour témoigner. Sa minorité est inscrite sur ses traits juvéniles, encore ronds, en dépit de son survêtement gris et de ses cheveux longs qui lui donnent l’air d’un jeune adulte comme un autre. Les jointures de ses mains blanchissent tant il agrippe fermement la barre, au fur et à mesure qu’il narre son histoire devant la cour.

C’est par l’entremise de son ami Quentin que cet élève brillant, en avance pour son âge, rencontre l’accusé : "Dès que je suis entré chez lui, il m’a dit cette phrase dont je me souviens encore, 'Ce qui se passe chez Fabrice, reste chez Fabrice.' " Léo, qui dit avoir dormi à trois reprises chez Fabrice, raconte des faits qui se seraient déroulés lors de deux nuits différentes. "Dans vos dépositions, vous avez donné plusieurs versions et celle d’aujourd’hui diffère encore un peu. Pourquoi ne pas avoir tout dit dès le départ ?", le questionne la présidente. "J’avais honte, je n’étais pas bien, j’avais peur. J’ai passé de longues nuits à me remémorer ce qu’il s’est passé", justifie le jeune homme, qui appuie son propos : "Je sais ce qu’il s’est passé moi madame, tout le mal que ça m’a apporté. J’attends un jugement qui soit à la hauteur des faits qu’il nous a commis, qu’il soit enfermé pendant 20 ans, que ça le détruise comme il nous a détruit."

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Sa mère raconte ensuite comment elle et son beau-père ont déménagé pour se rapprocher de l’enfant en difficulté scolaire, qui aspire seulement à de "la sérénité et de la tranquillité", suite aux faits. "Quand il s’est refermé sur lui-même, je l’ai mis sur le compte du cancer qu’on venait de me diagnostiquer, raconte-t-elle, la voix serrée mais claire. Je ne me serais jamais, jamais imaginé ce qu’il se passait là-bas." Son père, ancien légionnaire, décrit quant à lui une relation avec son fils, déjà pas sans difficultés, complètement détruite suite aux faits : "Il refusait de m’en parler, et heureusement quelque part, sinon mes actes auraient été fatals", lâche-t-il d’une voix glaciale.

Quand Louis prend à son tour la parole, il expose de sa voix maîtrisée un schéma similaire à celui des faits vécus par Quentin : un espace de liberté où on pouvait jouer, boire et manger à sa guise, la nuit passée dans le lit de l’accusé, des "papouilles" qui se transforment en massage puis en acte sexuel, sans violences toutefois. Il fait monter à dix le nombre de fois où il aurait subi les agressions. Le jeune homme voyait en Fabrice une figure paternelle, un mentor, lui qui a grandi sans père ; sa mère le décrira comme son confident, sa "bouffée d’oxygène" dans un quotidien compliqué. Se retournant vers elle, le jeune homme conclut : "Je suis désolé de t’avoir rien dit, maman." L’air de vouloir hurler, elle couvre sa bouche de ses mains, quand ses joues se couvrent de larmes. Quand Louis se rassoit, Quentin et Léo lui serrent les mains.

Les experts de la psyché s’expriment

Selon les deux psychologues qui ont examiné les trois jeunes hommes, tous présentent des signes de stress post-traumatique, sans de trace qui indiquerait un mensonge : "La parole de l’enfant est particulière, mais on ne peut pas la disqualifier si elle change au fur et à mesure. Plus il sera en confiance, plus il sera à même de lever le voile sur ce qui est arrivé", détaille l’une d’entre eux. Qui plus est, les trois font état de difficultés de sommeil et des cauchemars, de la haine envers l’accusé, de la nervosité, de l’hypervigilance, le sentiment de trahison, la culpabilisation, un phénomène de dissociation, …

Une litanie de symptômes qui fait écho à l’immense douleur qui transperce la voix du beau-père de Louis : "On a tout vécu de l’intérieur, avec les autres parents, la dégradation psychologique, les crises de larmes, je les ai tenus dans mes bras, quand ils pleuraient à n’en plus finir !" Sa voix se brise soudainement. "La culpabilité… Ça s’en ira jamais, c’est horrible. Et le pire c’est que ce sont eux qui se sentent coupables. Ça nous a détruits, tous, tous. On ne peut plus se regarder en face, on pense qu’à ça. Mais je veux les féliciter parce qu’ils sont bien plus courageux que nous et ils battent pour eux mais aussi tous les autres."

Pour autant, le psychiatre qui a examiné Fabrice, en novembre 2020 et mars 2024, note une évolution nette du discours de l’accusé, qui niait d’abord tous les faits puis a exprimé "un discours auto-critique et des remords", toutefois seulement sur les faits concernant Quentin. L’expert évoque l’absence de troubles psychiatriques, de son image de soi déformée, et le débat tourne autour des catégorisations de la pédophilie. Pour autant, le psychiatre prévient : "La mission du psychiatre est avant tout de chercher s’il y a des signes de maladie mentale. Pour le reste, il faudra voir avec les psychologues ou les psychanalystes."

Un début d’admission des faits

Face aux émanations de souffrance, la présidente, l’avocat général, les avocats des parties civiles et même son avocate ne lâchent pas Fabrice, qui reconnaît seulement les faits liés à Quentin. Le quadragénaire oscille constamment : on l’entend aussi souvent répondre "Je ne l’explique pas" que "alors ça, je peux l’expliquer" quand les magistrats l’interrogent sur ses hypothèses bancales, ses positions fluctuantes, ses minimisations et sa reconnaissance des faits seulement quand il y est confronté. Pourtant, au passage de Louis à la barre, le mis en cause lâche des larmes, ce que lui fait remarquer l’avocat de l’adolescent : "Pourquoi pleurer, si vous n’êtes pas coupable des faits ? Ne serait-ce pas le moment pour avouer ?" "Mais je n’ai rien fait ! Ça me fait mal autant que ça leur fait mal à eux, je me rends compte que j’ai heurté tout le monde", s’agace le prévenu. "Alors, vous ne pouvez pas avoir heurté si vous n’avez rien fait", assène la présidente.

Son conseil enchaîne, notant que Fabrice a dit que les faits dénoncés par Louis étaient "impossibles" au vu de l’amour qu’il portait à Quentin : "Pourtant, poursuit-elle, Quentin vous avait bloqué, Louis vous portait de l’affection, et on est un peu dans le même schéma, avec deux jeunes vous voyant comme un père. Serait-il envisageable que, l’alcool aidant, les stupéfiants aidant, dans l’attrait et à l’affection que vous portez aux adolescents prépubères, vous ayez réitéré les mêmes gestes sur Louis que ceux que vous avez faits à Théo ?" Une question compliquée pour une réponse simple, un petit "Oui" lâché par Fabrice, qui fait l’effet d’une déflagration dans la salle. Un silence suit, Louis se prend la tête dans les mains, et à la suspension de séance ordonnée juste après, chacun se prend dans les bras les uns des autres.

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